jeudi 15 mars 2012

La justice Camerounaise, une mise en scène qui tue.

Pour parler de l'état moribond de la justice Camerounaise à ce jour, il est important de rappeler un peu l'histoire, comment l'état, l'autorité administrative s'en est toujours servi pour imposer ses volontés.

Le pouvoir n'a pas besoin de juger ses ennemies durant les années 1954 1960, on assiste à des massacres pur et simple des populations par les troupes françaises. C'est l'époque des castes au Cameroun, les colons, les choisis nationaux qui représentent les collaborateurs passifs du pouvoir colonial et les indigènes qui sont la majorité de la population. L'indigène c'est un homme sans droit, le colon et son armée à droit de vie ou de mort sur l'indigène. C'est l'époque des travaux forcés, de l'expropriation des terres et autres biens, le colon se sert sans ménagement, les collaborateurs nationaux vivent le bien être sans être inquiétés. Les gens sont exécutés sommairement au moindre soupçon de rébellion, c'est pour servir d'exemple et choquer les consciences. Entre 1954 et 1960, des patriotes Camerounais ont décidé de se battre, ils réclament l'indépendance. La répression de l'armée française est féroce, les villages entiers sont brules, les populations massacres ou déportés dans la foret.

Les années de braises, entre 1960 et 1970 l'armée camerounaise prend le relais, le maquis fait rage, c'est la période des têtes coupés. Ahidjo et ses sbires traquent inlassablement tous les dissidents, le General Semengue (encore en service!!!) est à la tête de l'armée. Ils traquent les supposés maquisards, brulent les villages terrorisent les populations. Les têtes coupés des ennemies est la marque de signature, que l'on brandit dans les églises, dans les tribunaux. Il y a même la création de ce qui va devenir le carrefour maquisard à Bafoussam, un lieu en plein centre-ville, ou l'armée affiche tous les jours les nouvelles têtes fraichement coupées à la vue des populations. Le but est de choquer le mental des populations, décourager les éventuels rebelles, ils veulent tuer la sédition dans l'esprit des populations.

Les années 1970 a 1980, c'est la période des procès expéditifs du tribunal militaire, qui très souvent fini par le peloton d'exécution pour les malheureux qui se trouvent en marge de l'adoration du chef suprême. C'est la période des disparitions et des arrestations arbitraires. Tout le monde y passe, surtout ceux qui ont la maladresse d'êtres taxés d'intellectuels. Des Camerounais en vacances ou qui reviennent au Cameroun après leur études, sont arrêtés et disparaissent au sortir de aéroport. Certains, les plus chanceux, ne reverront la lumière du jour que des années plus tard. Beaucoup de familles demeurent à ce jour sans nouvelles de leur bien aimé. Le lieutenant en chef de cette époque est Jean Fochivé, un homme dont le nom seul suffit à semer la terreur, même des années après sa mort. Il est le chef de la police secrète du régime Ahidjo, maitre des lieux de la fameuse prison de Cholliré, ou ses acolytes ont trainé, torturé et exécuté des centaines de Camerounais dans le secret complet.

Les années pre-multipartisme, 1980 - 1990. Cette période commence en grande pompe avec la création du RDPC en remplacement de l'UNC, un parti unique pour remplacer un autre. Les promesses de rigueur et moralisation planent dans l'air, un vœu pieux pour faire rêver le peuple et gagner du temps. Les affaires restent les mêmes, l'équipe gouvernementale est restée la même, les fidèles de l'ancien régime sont progressivement balayés. Fochivé n'est pas du reste, il est un symbole embarrassant du régime Ahidjo, il est la preuve même que les choses n'ont pas changé. Biya le met en arrière-plan pour mieux continuer la répression. Les libertés fondamentales continuent à être violés, la liberté de la presse soufre énormément. Les Journalistes sont arrêtés et jetés en prison pendant des années sans procès. Les manifestations publiques sont écrasés dans le sang, les dissidents politiques sont arrêtés leur biens saccagés ou confisqués. Les étudiants de la seule université de l'époque, l'université de Yaoundé se soulèvent, ils réclament les meilleures conditions d'étude et de logement. La répression est terrible, il y a des centaines de morts et de disparitions. L'état nie tout par la voix de son porte-parole le régime clame qu'il y a eu "Zéro mort".

Les années 1990 à aujourd’hui, le régime est forcé d'accepter le multipartisme. Dans le fond rien n'a vraiment changé, on assiste à une confiscation systématique du pouvoir Judiciaire par la présidence de la république. C'est l'heure de la centralisation effective des pouvoirs, il faut s'armer contre le multipartisme. Les juges et autres procureurs deviennent de facto les bourreaux à la solde du régime. Les ennemis du régime tombent sous des faux procès, la presse continue de payer le prix fort. Les journalistes sont arrêtés, les locaux des organes de presse sont saccagés. Les procès bidons sont conduits contre toute dissidence, des citoyens jetés en prison pour des décennies sans que leur crime soit élucidé encore moins prouvé.

La politisation et embrigadement de la justice par le régime se symbolise en 2012 par trois cas. Trois citoyens victimes des rouages d'un système bien huilé, une justice au service d'un régime répressif et incompétent:


Enoh Meyomesse


Enoh Meyomesse

Ecrivain et activiste politique Camerounais, il a été arrêté le 22 novembre 2011 à l'aéroport de Yaoundé Nsimalen à son retour d'un voyage à Singapour. De l'aéroport il a été immédiatement détenu par les forces de l'ordre. Il a été gardé pendant 30 jours dans des conditions d'isolation sordides à l'est du pays. Il est Interrogé, torturé a maintes reprises et ses affaires personnelles sont pillées par des forces de l'ordre. Il est paradé à la télévision nationale, comme une terreur publique, tenant une simple feuille de papier avec la mention: 'Vol aggravé'. Il est jeté à la prison de Kodengui sans procès, ou il passe des jours difficiles loin de sa famille et de ses amis.

Si Enoh est accusé de 'vol aggravé', comment l'accusation est-elle menée par un tribunal militaire? Est-ce la compétence du tribunal militaire de s'occuper des affaires de vol impliquant des civils?

Notons que l'accusation mentionne aussi de 'détention d'armes de guerre', est-ce la mention 'armes' qui justifie la compétence du tribunal militaire dans cette affaire? Si tel est le cas les photos des de ces armes font presque rire si la situation n'était pas si sérieuse. Et puis, ces armes palissent en comparaison avec les armes qu'on a retrouvé entre les mains de gangsters et braqueurs, et paradé a la télévision nationale a maintes reprises. Pourquoi le tribunal militaire ne s'est pas souvent mêlé des affaires de braquage?

Ah, ils ont ajoute 'complicité et complot de coup d'état' a la charge. Rappelons le résumé des charges pour mettre en perspective le caractère rocambolesque de cette affaire. Enoh Meyomesse est accuse par le tribunal militaire de vol d'or des réserves de l'état, le quel or a été vendu pour acheter des armes de guerre avec pour but de faire un coup d'état. Les autorités n'ont jamais trouvé d'or ni d'armes sur Enoh ou à son domicile.
Enoh Meyomesse entouré de présumés complices, à Bertoua


La présence du tribunal militaire ici, montre la proximité de l'affaire du cœur du régime. Les choses ont été décidées en haut lieu, Biya lui-même veut avoir l'œil sur cette affaire. Le régime veut s'assurer qu'elle contrôle le règlement de compte avec un détracteur, un critique qui pique. Enoh s'est avéré trop ennuyeux pour le régime lequel veut s'en débarrasser pour de bon. Notons que la candidature d'Enoh à l'élection présidentielle de 2011 a été rejetée.



Vanessa Tchatchou


Vanessa Tchatchou


Agée de 17ans au moment des faits, cette jeune femme a accouchée dans les bonnes conditions à l'hôpital gynécologique de Ngousso Yaoundé, il y a 7 mois environs. Le bébé a disparu peu de temps après l'accouchement. Son bébé a disparu sans traces, personne ne semble savoir ce qui s'est passé, aucune explications de l'hôpital, pire le mutisme des autorités. Aucune enquête viable n’a été entreprise par les autorités. La jeune mère et sa famille ont été abandonnées à elle-même. Au prix de milles efforts, l'alerte a été entendue par la population qui s'en est mêlé. Entre temps, Vanessa Tchatchou est restée cloitrée dans son lit de l'hôpital pendant 7 mois.

Les autorités se sont finalement décidées à y regarder de près quand la réclame populaire s'est faite de plus en plus forte. Des camerounais qui manifestaient devant l'hôpital ont été arrêtés. Au fort de la tourmente, le porte-parole du gouvernement a déclaré sans aucune preuve matérielle que l'enfant de Vanessa est décédé. Le comble de l'irresponsabilité.

Les pistes de suspects n'ont pas été explores ni par la police ni par les fonctionnaires du ministère de la justice. Le 12 mars 2012, Vanessa a été enlevée de force de l'hôpital, par les éléments de force de l'ordre, l'ordre de la faire déguerpir les lieux serait venu de très haut, elle est brutalisée sans ménagement avant d'être jetée devant le domicile familial.

Vanessa Tchatchou à l'hôpital ou elle a passé près de 7 mois.


Le cas de Vanessa, qui est connu par tous aujourd’hui comme le cas du bébé vole, est le symbole d'une société ou la justice n'existe pas pour le citoyen moyen. La justice au Cameroun reste une affaire des gens connectés, l'homme de la rue est ignoré quand il n'est pas lui-même victime de la répression de la machine étatique.


Paul Eric Kingue


Paul Eric Kingué


Cet ancien maire de Njombe Penja 2007-2008(il a été maire pendant 3 mois),  a publiquement dénoncé, les exactions de l'armée sur les civils de sa commune qui manifestaient contre la vie chère. Apres juste 3 mois de service, le maire Paul Eric Kingue a été suspendu par le ministre de l'administration territoriale.

Vraisemblablement en représailles à ces dénonciations, il a été arrêté pour incitation à la violence des jeunes lors des manifestations contre le changement constitutionnel de 2008, le 29 février 2008 avec certains de ses collaborateurs. Il faut noter que beaucoup de Camerounais sont descendus dans la rue pour protester contre le changement de constitution de 2008, qui donnait a Biya la liberté de briguer un nouveau mandat en enlevant la limite sur ne nombre de mandats présidentiels.

En prison dans les conditions déplorables à la prison de New Bell, Paul Eric Kingue a ensuite été inculpe de multiples chef d'accusations, dont le plus notoire est le détournement de fonds publics une somme qui s'élèverait a 10, 296,200 FCFA.

Le 10 mars 2011 son fils unique de 11 ans meurt en son absence après 5 jours d'hospitalisation à l'hôpital laquintinie à Douala. Il recevra du tribunal la permission d'assister à l'enterrement, la seule mise en liberté qu'il reçoit depuis des années d'incarcération.

Paul Eric Kingue à la prison de New Bell

Le 29 Février  2012 il est condamné à vie par le tribunal de grande instance du Moungo, la peine maximale qu'on puisse donner à un être humain. Pour quel crime? Même si Paul Eric Kingue était coupable de vol, quel guide juridique prévoit qu'on puisse condamner un homme à vie pour avoir volé 10, 296,200 FCFA? Cette affaire a à coup sûr l'air d'un règlement de compte. Le régime veut en faire un exemple, à l'époque du gang Ahidjo-Fochivé il aurait fait face au peloton d'exécution ou aurait pourri dans les geôles de Cholliré. Le temps passe les méthodes changent.

Le cas de Paul Eric Kingue est le symbole même du degré de manœuvre que le régime a sur la justice du pays. La justice fonctionne telle une clé multifonction, dont toutes les combinaisons sont essayées jusqu’à ce qu'on trouve celle qui ouvre la prison dans laquelle le régime de Yaoundé souhaite vous jeter. Ceux qui osent défier le pouvoir, sont ainsi sévèrement punis par la longue main noire du pouvoir. Une justice démesurée et sans limites, une fois que le citoyen est pris, il est broyé, torture et banni en dehors de tout cadre juridique ou légal. Les juges qui ont jeté Paul Eric Kingue en prison ne lisaient pas le droit, ils n'ont pas applique le droit, ils ont appliqué la volonté du grand manitou Biya.

Paul Eric Kingue enchaine à Lapiro de Mbanga, le symbole de la justice Camerounaise

Le message est simple: la dissidence et l'opposition ne sera pas toléré sous le régime Biya. Le régime possède la justice, la police, les procureurs et les juges sont des fidèles servants de sa majesté, des gardes qui frappent très dur au premier coup de sifflet. Malheur aux pauvres citoyens.